Pourquoi il faut renoncer aux open spaces (et vite !)

, par  Fanny Marlier , popularité : 2%
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Le Loup de Wall Street ((c) Youtube)

On en vante les mérites : l’open-space serait bon marché, permettrait une meilleure circulation de l’information, et faciliterait les déplacements. Mais, à qui profite réellement l’open-space ? C’est ce qu’a cherché à savoir Elisabeth Pélegrin-Genel avec son livre Comment (se) sauver (de) l’open-space ? (Ed. Parenthèses). Architecte et psychologue du travail, c’est avec cette double casquette, qu’elle s’est plongée dans une analyse de l’impact du bureau ouvert sur le bien-être et la productivité. Pour cela, Elisabeth Pélegrin-Genel a décidé de “prendre au pied de la lettre le discours sur les open-spaces, de ré-interroger les messages récurrents du management et de regarder, à chaque fois, la traduction spatiale proposée.” Le résultat ? Un modèle bourré d’ambiguïtés.

Le bureau ouvert se caractérise par l’absence de cloisons. Un lieu où plusieurs personnes partagent un espace de travail, sans pour autant qu’elles n’exercent le même métier. “Je n’entre jamais dans un open-space sans regarder comment me sauver. Cet espace de travail sans âme, résumé à un face à face étriqué avec un écran d’ordinateur, me dérange toujours. Faut-il vraiment que l’on travaille dans un cadre aussi froid et aussi pauvre ?”, interroge la psychologue en préambule. L’open-space, c’est avant tout la rationalisation du moindre geste. Il vise à éviter les déplacements inutiles, tout en luttant contre le dilettantisme. Autrement dit, à “standardiser le plus possible le travail et ses outils”, résume Elisabeth Pélegrin-Genel. Une organisation quasi taylorienne.

Muriel Fagoni, vice-présidente exécutive de BETC (Euro RSCG) décrit le modèle de la manière suivante :

“L’espace individuel est collectif et l’espace collectif est privé. Ainsi, seul avec soi-même, on peut tout à fait s’isoler dans un espace collectif, mais à l’inverse, si le groupe a besoin de s’isoler, il faut lui garantir des espaces à privatiser.”

C’est ici que tout se joue : avoir la possibilité de se mettre dans une bulle tout en restant ouvert à ce qui se passe autour.

Quand l’open-space devient une scène de théâtre

Dans le bureau ouvert, les moindres détails de gestuelles, de comportements, de déplacements, ou de distractions sont visibles aux yeux de tous. Finalement, l’open-space c’est un peu la version contemporaine du panoptique de Jérémy Bentham – analysé par Michel Foucault – cette prison circulaire où le geôlier peut surveiller les détenus sans être vu. Dès lors, ces derniers savent qu’ils peuvent être observés à tout moment, ce qui influence leurs comportements. C’est ce qui se passe pour les employés assis à leur bureau. A la différence qu’ici, il suffit de lever les yeux de son ordinateur pour devenir, à son tour, surveillant. L’open-space créé alors la distraction, il s’y passe toujours quelque chose.

Coups de fils personnels, va-et-vient, ou entorses aux horaires… Qui n’a jamais eu le sentiment d’être épié de toute part ? Cette exposition de soi “oblige à une attention constante, à se contraindre jusque dans les moindres détails, écrit la psychologue. La stratégie, alors, est de rentrer les épaules, arrondir le dos et ne croise un regard sous aucun prétexte. Le corps émet des messages pour ne pas entrer en interaction. On se voit sans se voir, on se gêne plus qu’on ne s’apprécie, on évite de se parler.”

Pour arriver à travailler efficacement, beaucoup n’hésitent pas à se fabriquer un espace personnel. Casques de chantiers ou boules quiès ou, tous les procédés sont bons pour s’isoler de cette scène de théâtre. Bien que le Code du travail n’impose pas une taille minimale d’espace de travail, celle-ci peut avoir un impact important. “Quand la densité est trop forte, la fatigue s’installe”, remarque Elisabeth Pélegrin-Genel. Et la productivité est mise à mal. A contrario, “La ruche bourdonnante rend chacun quasiment invisible et permet de retrouver une sphère d’intimité et d’échanger tranquillement avec ses voisins.”

Le dilemme du dirigeant

L’open-space vise aussi à effacer les signes de statut et mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Seulement voilà, les managers ont tendance à se distinguer des autres par des bureaux fermés ou partiellement vitrés. Et “une nouvelle pyramide plus visible encore se met en place”.

C’est là que réside toute l’ambiguïté : ces dirigeants font l’apologie du bureau ouvert, tant que cela ne s’applique pas à eux. “Ils invoquent, avec candeur et bonne foi, les contraintes de leur métier, le besoin de concentration, de confidentialité”, insiste l’auteure. A la question : “peut-on se sentir harcelé par son environnement ?”, la majorité des responsables répondent que c’est “exagéré”. Pourtant, après avoir testé l’espace ouvert, ils changent d’avis. “Morale de l’histoire : si l’open-space peut rendre malade les cadres, il convient très bien pour leurs collaborateurs”, déplore Elisabeth Pélegrin-Genel.

Considération et productivité

Bien qu’il existe de plus en plus de mobiliers conçus pour atténuer tous ces défauts, la consultation des employés sur l’organisation de leur environnement, reste primordiale :

“Lors d’interventions sur l’environnement physique d’un atelier, entre 1924 et 1932, Elton Mayo avait montré que le fait de ‘considérer’ les gens qui travaillaient là, de s’intéresser à eux et de recueillir leur avis, faisait augmenter la productivité. Celle-ci comme on aurait pu le penser de prime abord, n’était pas corrélée à des subtils ajustements de la température ou à des variations de la luminosité mais à l’attention portée aux salariés”, rappelle l’auteure.

Or, selon une étude TNS/Sofres, 94% des salariés estiment que la qualité de vie au travail est un sujet important. Pour la moitié d’entre eux, l’entreprise n’accorde pas assez d’importance à leur environnement de travail, et ils regrettent leur incapacité à s’exprimer à ce sujet. Ce dialogue favoriserait “l’adhésion et l’implication des salariés”.

“Have fun”

La firme multimillionnaire Google a bien cerné l’enjeu. Elle offre à ses employés une atmosphère fun et décontractée avec une cafétéria aux mets élaborés, une piscine, des hamacs, et des salles de jeux. Revers de la médaille : “A côté de l’aspect festif, une loyauté sans faille et des horaires de travail interminables sont exigés”, pointe Elisabeth Pélegrin-Genel.

Aujourd’hui, que ce soit à New York, Londres ou Paris, les espaces de co-working fleurissent un peu partout. On y travaille différemment. Entrepreneurs, artistes, architectes… ils sont nombreux à se rendre dans ces bureaux partagés afin d’échanger des idées, et de créer leur propre réseau. Finalement, “Tout ce que le management peine à mettre en place dans les open-spaces se produit de façon spontanée et informelle”, souligne l’auteure. Et de plus en plus d’entreprises encouragent leurs salariés à faire du télétravail.

“Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’on a sous la main des outils de communication de plus en plus performants qui nous libèrent du lieu. Cela ne signifie en aucun cas que celui-ci n’a plus d’importance, bien au contraire. Simplement, ces outils permettent de ne plus être autant assujetti à une place”, conclut la psychologue. Le bureau de demain doit encore être inventé, donc. Les paris sont lancés.

Comment (se) sauver (de) l’open space ? Décrypter nos espaces des travail, de Elisabeth Pélegrin-Genel, Ed. Parenthèses, 160 pages.
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Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2016/04/0...

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