Spécial Londres : Hipsters, drag-queens ou junkies… à Dalston, la nuit tout est permis

, par  Anne Laffeter , popularité : 2%

Vendredi. 23 heures. Une blonde d’une vingtaine d’années en minijupe vomit des litres d’alcool non identifié accroupie sur le trottoir. Sa copine nettoie au fur et à mesure avec une petite bouteille d’eau. Le flegme britannique. On est sur Kingsland Road, la rue qui part du quartier de Shoreditch et traverse l’East London. Les salons de coiffure caribéens cèdent la place aux restos turcs. Les jeunes Londoniens à vélo zigzaguent entre les bus rouges à deux étages. Posés sur le muret du parking du Tasco Express, trois gars à mine de criminel de guerre serbe descendent des canettes d’une sous-marque de Guinness. Une femme intégralement voilée tient sa poussette d’une main et son BlackBerry de l’autre. Trois gamines ultralookées écoutent Drake à fond sur un portable.

Une junkie au crâne rasé s’assoit près du distributeur de billets et sort une plaquette de médocs. Le cinéma Rio, bâtiment vintage des années 50 aux néons bleus, affiche The Kid with a Bike des frères Dardenne. De l’autre côté de la rue, une bande de mecs à casquettes et cheveux longs discutent autour de leurs beach bikes à grosses roues, comme téléportés de Los Angeles.

Il y a la queue devant le Dalston Superstore, premier club à avoir ouvert à Dalston, il y a cinq ans. A l’entrée, la fouille est serrée. Les videurs cherchent de l’alcool, de la drogue et des couteaux. “Il y a beaucoup de meurtres à l’arme blanche”, justifie une grosse Black avant de prendre un feutre et de dessiner une bite sur les poignets des clients en guise de tampon.

Un barman à tête rasée et aux bras tatoués enfile les pintes. Au sous-sol, le DJ enflamme une salle blindée. Quand les trans traînent au Superstore, les hipsters montés de Shoreditch – ancien quartier cool en déclassement – se replient sur l’Alibi, club plus hétéro fashion situé un peu plus bas. “Ici, tout bouge très vite. En deux ans, c’est plié”, raconte Anna.

Le 2 juin, c’est sur du Aaliyah et du Missy Elliott que s’est tenue la dernière des soirées Twat Boutique lancée il y a trois ans. Passion Pit, Beth Ditto, The Horrors, Romy de The xx ou encore La Roux, entre autres, seront passés aux platines du Supestore.

“Le vendredi et le samedi c’est nul, les hétéros viennent s’encanailler à Dalston, les hipsters de Shoreditch débarquent, il y a plein de gars bourrés et plein de drogue”, raconte Justin, 31 ans, barbu aux yeux de biche.

Ce soir, il fait le portier du club gay Vogue Fabrics avec Laill, grimé en blonde, et Jean-René, en justaucorps violet. Planté au milieu des kebabs, sans indication, un couloir crasseux : au fond une bougie attire les teufeurs.

Lorsque Shoreditch a commencé à se transformer en nid à modeux posh il y a dix ans, l’underground s’est déplacé au nord, à Dalston et Hackney. Free parties, squats queer militants, prix plus bas, ambiance alternative et subversive, it was the place to be. L’endroit est aujourd’hui décrié par les puristes. Les squats ont fermé. En cause ? La gentrification et les Jeux olympiques. Il y a cinq ans, le Dalston Superstore était crade, trash et peuplé de gens nus. Aujourd’hui, on y vend des petits jus de fruit frais en journée et des sandwichs bio. Il serait colonisé par les bobos hipster caricaturaux. La websérie Dalston Superstars se moque avec un humour décapant des hipsters affligeants de superficialité. Anna les défend : “Ils ont participé à la mixité, à l’épanouissement de la scène gay, migrée de Soho à ici.”

Il est 1 heure. Changement de décor, direction Dean Street, Soho. Il est temps d’aller boire un gin tonic chez Gerry’s. Sur la porte en bois marron toute simple, juste une plaque. On sonne à l’interphone. La porte s’ouvre. On descend les escaliers. Roxy Music en fond sonore. C’est ici que se retrouve le monde des comédiens. Contrairement à de nombreux autres clubs privés londoniens, à 150 livres l’année, Gerry’s est bon marché. On y croise des légendes du jazz et de vieilles stars de théâtre. Kate Moss était accoudée au comptoir en grande forme à 7 heures du mat il y a deux semaines. Phil Dirtbox est derrière le comptoir. Jean, Doc Martens montantes et chapeau fedora blanc, ce sosie de Toulouse-Lautrec est une légende des nuits londoniennes.

Au début des 80′s, il organisait des fêtes illégales et déjantées. Phil hurle à un gars ivre mort : “Shut the fuck up.” Le type se calme direct. Les acteurs de The Mousetrap, d’Agatha Christie, viennent fêter leur record de la pièce jouée le plus longtemps. Quatre mecs sortis d’un croisement entre les Soprano et Les Promesses de l’ombre de Cronenberg tiennent le bar. Bill a les mains pleines de bagouzes et de tatouages. “I’m a secret man”, glisse-t-il. On regarde ses bagues. Son poing gauche se ferme et donne un violent coup dans sa main droite. Il éclate de rire. Un double gin tonic, please.

Samedi. 23 heures. Il y a une grosse soirée r’n’b au Macbeth, 70 Hoxton Street. C’est blindé, ça sent la sueur et les hormones. Lucy, 28 ans, râle : “Cent livres, c’est un peu cher pour de la coke dégueu, et je me suis fais chourer mon sac.” Dans le pub, c’est un condensé de génération Skins – série anglaise sur des ados accros au sexe et à la drogue. La vodka coule entre les seins et le MDMA fond sur les langues. Suzy, 23 ans, organise la soirée : “On fait trop de fêtes quand on est jeune : quand on arrive à 25 ans, on est en burn out.” Installée devant le mur couvert de graffitis du coin fumeur, Kristin commente les dernières tendances : “Depuis peu, la mode est au seapunk, aux cheveux colorés, vert fluo, ça vient des States.” Les nuages de haschisch se dispersent.

Minuit. Direction le Sporting, dans le quartier de Portobello, voisin du huppé Notting Hill. C’est un bar-resto portugais. Des maillots de l’équipe de foot lusitanienne recouvrent le mur. L’endroit est réputé pour organiser certaines des meilleures free parties de l’Ouest Londonien. On y trouverait aussi une super coke, prisée des mecs de la City. Ce soir pas de ligne, mais une odeur de beuh à se damner. Trois jeunes gars lookés latinos et casquettes de base-ball fument un pète.“Ce soir, c’est tranquille, c’est familial”, explique Pablo, 18 ans. La salle a été louée pour un anniversaire.

Un mec au synthé reprend les Black Eyed Peas en portugais. Un grand brun en costard bon marché danse au milieu de filles très rondes affublées de robes dignes d’un bal de promo 1986. Dehors, Daren, la cinquantaine, casquette New York et oeil de verre, “travaille” mais “pas officiellement”. Il raconte qu’il y a quelques mois des types se sont poignardés de l’autre côté de la rue.

“La police a mis trente minutes à arriver, ils attendent toujours que ça dégénère avant d’intervenir, comme pour les émeutes.”

Depuis, ils ont mis des caméras partout. Même dans le terrain vague en face. 2 heures. Pas très loin du Sporting, il y a un bon endroit pour se finir : The Globe à Notting Hill, au 103, Talbot Road. Au milieu des belles demeures bourgeoises se dresse un rade. C’est la plus mythique boîte black de Londres. Les murs sont couleur Jamaïque. Daina tient la porte depuis l’ouverture du lieu, en 1962. Il a “80 ans”, mais en paraît 60. Chauve, énormes bracelets de force aux poignets, tunique beige en lin, il a la classe internationale. Les autres videurs ont des blouses jaunes. C’est la nouvelle législation depuis l’installation des caméras de surveillance dans la rue. En haut, pendant que le fils paie sa tournée de rhum, les tables accueillent le mafé au poulet de maman. Pas question de refuser.

Les temps sont durs. Il faut faire attention au bruit, sinon on prend des amendes. Un sosie de Jim Harrison, pendentifs de coquillages et de dents de requin au cou, débarque avec deux grosses valises. Il sue comme un cochon. Il sort des sacs plastiques pleins de DVD crackés et les étale sur la table. “Deux livres le film”, lâche-t-il. En bas, des school kids défoncés et ivres morts bougent sur du dance-hall au milieu de vieux Blacks bourrus et de milf allumées. Les plus raides iront se finir vers 5 heures à l’after Jaded sur Cable Street – quartier général des antifascistes des années 30. A la sortie, vers midi, c’est le remake de l’attaque des zombies.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2012/06/1...

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