Tinder : “On a tué la honte de faire des rencontres en ligneâ€

, par  Vincent Glad , popularité : 2%

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Comme toujours sur Internet, il faut se méfier des hypes éphémères qu’on célèbre avant de les abandonner un mois plus tard. Il est trop tôt pour dire si Tinder s’imposera comme le moyen le plus cool de faire des rencontres ou s’il rejoindra si le cimetière des appli mort-nées. Toujours est-il qu’avec ses 100 000 nouveaux abonnés par jour, l’application renouvelle déjàprofondément le paysage des rencontres en ligne, en lui apportant une dimension ludique et en utilisant un outil qui jusque-làfaisait très peur aux femmes, le GPS. Très utilisé dans le milieu gay, avec l’appli Grindr, le GPS n’avait jamais percé pour les rencontres hétéros, malgré de nombreuses tentatives comme Blendr.

Sur Tinder, des profils de garçons ou de filles situées dans les environs se succèdent àl’infini et il faut cliquer sur “croix†ou “cœur†, au doigt mouillé, au vu de quelques photos, des amis et des likes Facebook en commun. Impossible de se prendre un vent, il n’y a “match†et possibilité de discuter que quand deux profils ont cliqué sur “cœur†.

L’une des fondatrices de Tinder, Whitney Wolfe, 24 ans, VP Marketing, est passée par Paris dans le plus total anonymat. À son prochain passage, elle vaudra peut-être des centaines de millions de dollars et sera entourée de dizaines de collaborateurs. En attendant, on a pu discuter tranquillement, autour d’un café au Palais de Tokyo, du succès de Tinder et de son usage en France.

Vous refusez de présenter Tinder comme une appli de dating, mais tout le monde l’utilise pour ça, non ?



Whitney Wolfe

Il n’y a rien sur l’appli qui indique que c’est pour faire du dating, c’est aux utilisateurs de décider ce qu’ils en font ! Aux Etats-Unis, ce n’est vraiment pas une appli de dating. C’est plus un site de networking, pour trouver des gens avec qui sortir en soirée par exemple. Aux Pays-Bas, beaucoup de gens l’utilisent pour des raisons professionnelles, un peu comme Linked In. Des personnes qui travaillent dans le même secteur, comme la publicité, se retrouvent très facilement sur l’application grâce aux likes et aux amis Facebook en commun. C’est super aussi pour voyager ! J’ai beaucoup d’amis qui voyagent avec leur copine ou leur copain et ils l’utilisent ensemble pour trouver des sorties. Quand je viens àParis, si je ne connais personne, je peux l’utiliser pour trouver quelque chose àfaire ce soir. Et ça marche, je suis ici depuis 24h et j’ai déjàune quarantaine de matches !

Mais alors pourquoi, en France, cette appli n’est-elle utilisée que pour des rencontres sentimentales ?

C’est àcause de la culture, je pense, on est en France ! (rires) Les Français ne font que ça, de faire des rencontres ! Les Américains ne sont pas comme ça. La France est un des seuls pays au monde de ce type, avec le Brésil.

Pourtant, comme le relève la chercheuse Marie Bergström, “les rencontres en ligne se rapprochent sous plusieurs aspects du modèle des dates aux Etats-Unis, ces rendez-vous entre deux personnes avec une connaissance préalable parfois très limitée et dont l’engagement réciproque est faible†. En fait, avec Tinder, vous exportez le modèle du date en France !

Aux Etats-Unis, c’est très particulier, on “date†avec beaucoup de partenaires àla fois. Mais ce sont surtout les mecs qui aiment avoir 10 copines en même temps. Les filles ne sont pas très fans de ce système, mais elles n’ont pas vraiment le choix. En France, c’est beaucoup mieux, vous n’attendez pas six mois pour sortir ensemble de manière officielle et devenir exclusif ! Il faut que je vienne habiter ici !

Pour l’instant, en France, Tinder ne semble marcher qu’àParis…

La première étape de notre développement est de viser les gens “hype†des grandes villes. On verra ensuite pour la province. Si ça marche dans les grandes villes, ça marchera dans les plus petites ensuite, on l’a déjàvu dans d’autres pays. Aux Etats-Unis, c’est parti de Los Angeles, puis ça a essaimé dans d’autres grandes villes, comme New York, avec toujours le même groupe de gens. Le même public que celui de Facebook àl’époque de ses débuts àHarvard, des étudiants des grandes universités, des jeunes très diplômés qui aiment les mêmes choses.

D’où vient l’idée de Tinder ?

On a voulu résoudre un problème : comment se rencontrer simplement ? Facebook, c’est excellent pour parler avec ses amis, mais il y a quelque chose de raté pour rencontrer de nouvelles personnes. Je ne peux pas friend requester un inconnu sur Facebook, même si on a 100 amis en commun, c’est trop bizarre, ça ne se fait pas. Tinder, ça te donne une excuse pour dire bonjour àquelqu’un.

Dire bonjour àquelqu’un, mais uniquement basé sur quelques photos. N’est-ce pas un peu superficiel ?

On peut se dire que c’est superficiel, mais c’est comme dans la vraie vie. On est dans un café. Je suis certaine que si tu regardes des filles qui prennent un verre, dans ta tête, tu te dis “oui†, “non†, “oui†, “non†. Comme sur Tinder.

Le grand succès de Tinder, c’est d’avoir fait venir les filles sur une appli par GPS. Comment avez-vous réussi àfaire ça ?

Notre manière d’utiliser le GPS ne fait pas peur aux filles parce ça ne dit jamais précisément où est l’autre, et les filles ont toujours le choix de dire non, et de ne pas discuter avec les mecs. D’autre part, comme les profils Tinder sont reliés directement aux profils Facebook, on n’a pas de photos douteuses, comme les photos de sexe qu’on retrouve sur Blendr. On a de la chance, Facebook fait très bien la censure pour nous !

L’appli a-t-elle été développée spécifiquement pour le public féminin ?

Oui, c’est tout pour la fille, Tinder ! L’appli est plus safe que la vraie vie. Tu ne peux pas me parler si je ne t’ai pas dit oui, alors que dans la rue, il y a toujours des mecs qui abordent les filles alors qu’elles ne le souhaitent pas. J’ai plusieurs amies actrices àLos Angeles qui l’utilisent tout le temps. Elles me disent que c’est la seule façon pour elles de rencontrer de nouvelles personnes, sans se faire harceler par les mecs. En terme de communication, ma priorité c’est la presse féminine, parce que tant qu’on a des filles, tout va bien ! On est très chanceux, on a 45% de filles et 55% de mecs. Il n’y aucune appli dans le même style qui a de tels pourcentages de public féminin.

On a l’impression qu’il y a un public assez différent des sites de rencontre traditionnels, avec des gens qui n’ont pas forcément besoin de Tinder pour faire des rencontres.

Oui, on a tué la honte de faire des rencontres en ligne. C’est juste cool. Maintenant, on ne veut pas qu’ils restent scotchés derrière leur portable àse “matcher†pour satisfaire leur ego, on veut que ça débouche sur de la vraie vie !

Il y a eu beaucoup de sites qui ont eu une hype comparable et qui ont disparu des radars un mois plus tard, par exemple Chatroulette. N’est-ce pas votre destin ?

Est-ce que tu connais une seule personne qui a fait une vraie rencontre sur Chatroulette ? Tinder va continuer parce que les gens font des vraies rencontres et le racontent autour d’eux. Je pense que ça va rester hype, parce que le public très connecté des débuts, qui a eu une bonne expérience dessus en rencontrant quelqu’un, va continuer àl’utiliser même quand ce sera devenu plus grand public.

Comment utilisez-vous les données que vous envoie Facebook pour faire “matcher†les profils ?

Si tu as 500 amis sur Facebook et que moi je n’ai que 35, il y a une grande probabilité qu’on n’ait pas grand chose àse raconter, parce je suis moins sociable que toi. On va donc afficher des profils qui ont plutôt le même nombre d’amis que toi. De la même manière, si tu likes beaucoup de pages, on te montrera des gens qui likent beaucoup, et bien sà»r, les mêmes pages que toi.

Du côté de Meetic France (qui appartient pourtant au même groupe que vous), on dit que le succès de Tinder est impressionnant mais que ça ne leur fait pas peur car les gens ne restent qu’une semaine dessus…

C’est complètement faux ! L’appli est très addictive. On garde 85 à90% des nouveaux inscrits, qui deviennent des utilisateurs réguliers. Et les utilisateurs restent en moyenne 77 minutes par jour !

Un an après le lancement de l’appli, vous ne gagnez toujours pas d’argent. Comment comptez-vous faire pour être rentable ?

Pour l’instant, on ne monétise pas. On a des milliers d’idées pour le faire mais on préfère se concentrer sur l’expérience utilisateur et rendre l’appli encore meilleure pour les gens. Ce qui est sà»r, c’est qu’on ne mettra jamais de publicités. On va proposer àterme d’améliorer l’expérience en payant, peut-être par exemple en donnant la possibilité d’acheter des cadeaux.

On pourrait offrir des roses, par exemple ?

Pourquoi pas ! Mais si on fait quelque chose, il faut que ce soit cool pour les filles, c’est la contrainte principale. Si c’est bizarre pour les filles, on ne le fera pas.

Vous avez fait un partenariat remarqué avec la série américaine Suits. Est-ce que c’est une voie de développement pour Tinder ?

On n’a touché aucun dollar avec ce partenariat, c’était juste un échange de bons procédés. Quand les utilisateurs américains se connectaient, ils tombaient sur le profil des personnages de la série, Harvey Specter ou Rachel Zane, selon qu’ils préfèrent voir des garçons ou des filles. Si ils likaient le profil, ils avaient alors accès àdu contenu exclusif sur la série. Les producteurs de Suits étaient très contents, leur audience télé a augmenté de 30% grâce àTinder ! Chaque jour, on a quelqu’un qui nous propose deux millions de dollars pour faire leur promo sur Tinder, mais on ne veut pas perdre nos utilisateurs, c’est la priorité, donc on refuse.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/10/3...

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