Villagers : “Avant ce nouvel album, j’avais besoin d’inventer des personnages”

, par  Johanna Seban , popularité : 2%
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photo presse / facebook.com/Villagers

Quand tu as commencé Villagers, imaginais-tu que tu ferais un jour la promotion de ton troisième album ?

Conor O’Brien : Oui. J’étais assez arrogant quand j’étais jeune. Je crois que dès que j’ai eu quatorze ans, j’ai su que j’allais faire de la musique toute ma vie. Ce serait certainement moins prétentieux de dire le contraire, mais j’y croyais vraiment.

Comment ça, arrogant ?

J’étais du genre arrogant mais calme. Je ne le racontais pas haut et fort mais j’avais vraiment foi en mes capacités de musicien. Pour le reste, c’était moins évident… J’ai retrouvé des anciens amis récemment qui m’ont dit se souvenir que j’ai commencé à disparaitre un peu de la circulation quand j’ai eu quatorze ans. Je me réfugiais chez moi pour enregistrer dans ma chambre. J’ai arrêté de jouer au foot. Je n’ai gardé que quelques amis, des geeks et des fans de musique.

Ce nouvel album est annoncé comme ton disque le plus personnel. Est-ce que tu es d’accord ?

Oui et cela s’explique par la nouvelle méthode de travail que j’ai choisie. J’avais envie d’utiliser moins ma tête et davantage mon cœur et mon ventre. Envie de ressentir les choses plutôt que d’y réfléchir. Je suis fier de mes anciens disques mais parfois j’ai l’impression que j’ai voulu y mettre trop d’idées, trop de choses. Cette fois j’ai eu envie de clarté et de franchise. Toutes les chansons sont chantées à la première personne, ce qui est nouveau pour moi. Avant ce nouvel album, j’avais besoin d’inventer des personnages. Cette fois, j’ai simplement recherché l’émotion. Je n’avais pas envie d’avoir l’air smart ou intelligent. Je suis moins complexé aujourd’hui, je me sens mieux dans ma peau.

C’est ce qui t’a poussé à écrire cette jolie phrase : “it took a little time to be me” ?

Oui. Cette chanson parle de mes expériences. Elle est née du fait d’avoir vécu des histoires d’amour, et d’être aujourd’hui en paix avec ma sexualité. En paix avec moi-même, et en paix avec le monde. Je me suis longtemps senti différent, bizarre. J’ai grandi en Irlande, où l’homophobie était monnaie courante. Avant, j’avais tendance à utiliser des métaphores pour évoquer ma sexualité. Je n’étais pas à l’aise pour en parler aux journalistes ou aux inconnus. Aujourd’hui j’ai atteint un stade où c’est devenu naturel. Alors j’ai voulu ouvrir le disque avec cette chanson, de façon à ce que les suivantes puissent aussi être comprises sous cet angle.

On dit que ce nouveau disque t’a aussi été inspiré par un live que tu as partagé avec John Grant…

J’ai joué avec lui pour une émission télé à Londres. J’en suis sorti bouleversé, tremblant. Je me suis aperçu que John Grant parlait de ses sentiments sans les mettre en scène. J’ai compris que je pouvais faire la même chose. Je lui ai dit d’ailleurs qu’il m’avait inspiré pour mon disque. Je viens seulement de lui envoyer. Peut-être qu’il va le détester (rires)  !

Est-ce effrayant de se lancer dans un album fait uniquement de chansons d’amour ? A-t-on peur des clichés ou de reproduire des choses qui existent déjà ?

Je n’ai pas eu peur de la répétition car tout ça était très nouveau pour moi. Et puis je me suis justement inspiré du travail des autres : j’ai écouté beaucoup de chansons d’amour pendant l’enregistrement de ce disque. Je me souviens avoir écouté Killing Me Softly en boucle. Et puis les Beatles, qui restent une obsession pour moi.

Ce disque a été enregistré dans ton studio, installé dans une ancienne ferme sur la côte, au nord de Dublin. Peux-tu nous décrire cet endroit ?

J’y habite depuis une dizaine d’années, avec cinq autres personnes. Tous mes disques ont été écrits là-bas. J’enregistre dans la grange. Quand j’ai commencé à enregistrer mes morceaux, je pensais qu’il s’agirait simplement de démos, et que j’irais, dans un deuxième temps, faire le disque dans un vrai studio. Et puis j’ai réalisé que je pouvais sortir ces chansons sous cette forme. J’ai tout fait moi-même en m’imposant des horaires de travail. Je commençais à 9 heures du matin, finissais à 17h, du lundi au vendredi. Ca m’a pris huit mois en tout.

S’agissant de travailler tout seul, est-ce facile d’être ton propre juge ?

C’est intéressant en tous cas. Il faut apprendre à considérer son travail terminé, refuser d’y revenir sans cesse. Mon père est peintre. Il m’a toujours dit : “quand tu fais une peinture, il faut savoir la laisser tranquille. Sinon tu vas être excessif”.

Le succès de tes deux premiers disques, qui furent chacun sur liste pour le Mercury Prize, a-t-il changé quelque chose pour toi ?

Non. Je considère ma carrière comme un trajet, et ce trajet n’a pas changé. J’ai besoin que Villagers soit un projet en mouvement. Concrètement, cela signifie par exemple que je ne vais pas jouer les morceaux de ce disque de la même manière sur scène. Je vais travailler avec une musicienne qui joue de la harpe, alors qu’il n’y en a pas sur l’album. Je vais aussi ajouter des harmonies. J’aime confier ma musique à d’autres musiciens, les laisser écouter puis jouer ce qu’ils ressentent. Je n’interviens que très discrètement. C’est fort de passer d’un projet personnel à une œuvre collective. Je crois, d’ailleurs, que plus on va chercher au fond de soi, dans l’intime, plus on arrive à des choses universelles. A moins d’être narcissique et de ne chanter que pour soi.

Dernière question, te souviens-tu de la chanson que tu préférais quand tu étais jeune ?

Oui c’était Lola des Kinks. Je devais avoir huit ans quand je l’ai entendue. On était en vacances avec ma sœur et ses amis : tous écoutaient sans cesse les Kinks. J’avais un walkman et dès qu’ils sortaient j’écoutais le groupe en cachette. Je me souviens vraiment de la première fois que j’ai entendu l’introduction à la guitare de Lola. Jang-Jang-jang-jang-jang-jang-jang ! J’ai eu l’impression d’arriver sur une autre planète. Je me suis longtemps caché pour écouter cette chanson car je pensais que c’était une chanson pour les filles… Dès qu’ils revenaient, je balançais mon walkman et je faisais semblant d’aller au foot (rires). Et puis un jour j’ai fait mon coming-out, j’ai dit : “OK, j’adore les Kinks”. Et tout le monde s’en est moqué.

Album Darling Arithmetic (Domino) disponible

Concert le 4/5 à Paris (Café de la Danse)

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2015/04/1...

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