Xavier de La Porte : “Internet, c’est un peu comme la puberté”

, par  Fanny Marlier , popularité : 2%
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Xavier de La Porte, rédacteur en chef de Rue89 (Photo : capture d’écran Vimeo)

Comment s’est passée votre rencontre avec Internet ?

Xavier de La Porte – C’était vers la fin des années 1990, je pigeais pour un webzine qui s’appelait Chronic’Art. Je n’avais même pas internet alors je ne pouvais pas aller sur le site et je rendais mes textes sur disquette. J’étais encore très peu connecté à cette époque.

La première fois que j’ai utilisé internet, j’étais bénévole pour la campagne des Verts en 1999. Deux jeunes geeks étaient venus expliquer à Cohn-Bendit qu’il fallait absolument faire campagne sur internet. Ce qui était frappant c’est qu’on voyait déjà s’affronter deux visions. Ces jeunes étaient dans une logique libertaire, ils étaient en faveur de débats et d’un appel aux internautes en ligne. Alors que les grandes figures politiques étaient plus dans une logique de parti et désiraient davantage de contrôle de la parole politique. C’est marrant de voir que ces lignes de frottement perdurent aujourd’hui.

L’année suivante, j’étais grouillot à la délégation aux Affaires stratégiques du Ministère de la Défense durant mon service militaire. J’ai commencé à découvrir les sites américains et les Think tank.

Avec votre émission consacrée au numérique, Place de la Toile sur France Culture, vous avez été un peu un témoin de l’évolution d’internet finalement…

Complètement. L’émission a été créée en 2007, et je l’ai reprise de 2009 à 2014. On s’adressait à un public large, donc il fallait garder un regard extérieur. A la fin, l’émission ne ressemblait d’ailleurs plus du tout à ce qu’elle était au départ. Le public aussi avait changé. Je me souviens qu’au début je disais toujours “Twitter, cette plateforme de micro-blogging sur laquelle on peut s’exprimer en 140 caractères”. Alors qu’au bout de deux ans, je disais juste “Twitter” et ça suffisait, tout le monde comprenait.

Internet est un objet journalistique idéal. C’est à la fois un lieu qui produit de l’économie, de la disruption, de l’attention, de la géopolitique, de la culture… et qui les transforme. C’est complètement mouvant et international. Même s’il y a encore des disparités selon les cultures. On peut parler de tout, l’air de ne pas y toucher. Internet doit être un objet de réflexion continuelle.

Comment l’arrivée d’Internet a-t-elle bousculé votre mode de vie ?

Je me demande souvent : “Comment est-ce que je faisais avant ?”. Internet a bouleversé notre manière de vivre. C’est un peu comme la puberté. A la fois vous changez énormément, et à la fois vous êtes toujours la même personne. Et tout ça ne se fait pas à la même vitesse. Les poils ne poussent pas toujours au même endroit ni au même moment. Du coup, on a quelques disgrâces. Avec Internet, c’est pareil. Vous vous apercevez qu’au bout de X années, il y a quelque chose en vous de transformé. Et c’est loin d’être terminé.

Qui aurait par exemple pu penser que Twitter allait devenir ce que c’est devenu ? Au début des années 2000, Bruno Patino (journaliste, actuel directeur des programmes de France Télévision, Ndlr) avait fait une chronique dans mon émission sur France Culture où il parlait pour la première fois de Twitter, car quelques geeks en France et aux Etats-Unis l’utilisaient. A l’époque, je ne voyais absolument pas l’intérêt de ce truc. Je me suis dit : “Encore un énième machin que l’on va oublier dans deux mois…”

Et là, une bizarrerie incroyable s’est passée. Les gens ont commencé à s’emparer de cet outil. Un an plus tard j’étais inscrit sur Twitter, et trois ans après j’y passais 50% de mon temps connecté. Ça rentre dans nos vies, et on a un rapport très intime avec finalement. On s’interroge personnellement sur les normes qu’on veut y instaurer, quelles personnes on veut suivre, etc.

Êtes-vous accro ?

Je passe bien sûr ma journée connecté à internet, c’est un outil de travail et un lieu de réflexion, mais je le sépare de ma vie personnelle. Je n’ai pas de smartphone et j’ai n’ai pas une très grande envie d’en avoir un. Du coup, une fois que j’ai éteint mon ordinateur, je ne suis plus connecté. La déconnexion offre tout à coup un temps de réflexion différent.

J’aime bien le fait qu’il y ait une forme de coût d’entrée sur internet, que ça marque une rupture. Quand je rentre chez moi, il faut que j’allume mon ordinateur, que je me connecte, que j’aille sur un navigateur, etc.

Lisez-vous encore le journal papier ?

Ce n’est pas parce que j’ai passé ma journée à regarder des sites d’infos que je ne trouve pas agréable de feuilleter un journal. Je ne lis pas Le Monde de la même manière que je lis lemonde.fr, je n’y trouve pas le même intérêt et pas les mêmes articles. Ce n’est pas pour défendre le papier, mais se préserver des espaces de connexion c’est aussi se préserver des moments de lecture différents.

Quand ce n’est pas pour le travail, comment utilisez-vous Internet ?

Je pirate beaucoup de films et de séries. Je lis aussi de plus en plus de livres sur tablette. Mais surtout, je pratique l’errance. Je ne zone pas sur les réseaux sociaux, je n’ai pas de compte Facebook. En revanche, je regarde énormément de vidéos. J’aime me plonger dans des univers. Je peux passer toute une soirée à regarder des vidéos de l’Etat Islamique sur les sites les plus obscures. J’adore aussi aller de blogs en blogs et découvrir des communautés et des pratiques différentes. Je n’ai jamais fait d’études de médecine et je ne suis pas hypocondriaque, mais je suis la communauté de médecins sur Twitter. Les live-tweets de consultations médicales m’amusent.

Quelle est votre dernière fascination sur Internet ?

Les webcam de culs de Cam4 . C’est un objet que je trouve tellement bizarre. On rentre par des petites fenêtres sur des univers très intimes. On plonge dans l’intérieur des gens, et tout à coup on voit apparaître un drap, une chambre, une langue, des gens qui parlent. C’est la version interplanétaire du traditionnel Peep Show. Et là je me dis : “C’est fou, internet invente des trucs extraordinaires”.

Sur le même écran, avec deux onglets différents, d’un clic à l’autre on peut voir une Colombienne avec les jambes écartées, et écouter Apollinaire réciter Le Pont Mirabeau. Ça produit quelque chose que certains appellent l’esprit de zapping. Mais en même temps, ça produit ce que d’autres ont appelé la poésie, c’est-à-dire l’entrechoquement de réalités qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Etudiant, j’étais passionné par la littérature du XVIe siècle, et je pense qu’internet produit en moi la même fascination que les textes que j’ai adorés.

Propos recueillis par Fanny Marlier

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2015/08/0...

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